Lyliane Bert, plus de cinquante ans à La Table de Fès, ça vous dit quelque chose ? Dernière demain soir.
Voilà, une vie de restauratrice se termine. Celle de Lyliane Bert à « La Table de Fès » que votre serviteur connaît depuis une bonne quarantaine d’années, venant déjà avec mon père. Cette maison discrète, voire même secrète, a ouvert un jour de… 1961, en plein milieu des « événements », comme on disait à l’époque pour qualifier ceux d’Algérie. En ces temps-là, Lyliane affichait : « Ici, cuisine marocaine ». Elle avait appris chez son beau-père, qui donnait le « la » de la cuisine du cru en son « Aïssa, Roi du Couscous Marocain » de l’avenue Denfert-Rochereau (14e). Aïssa était le filleul de Lyautey, enfant de troupe de la Légion devenu capitaine de l’armée française. Après la pastilla, il servait un couscous cuit au beurre à la vapeur de lait. Ici, la « doudou » d’alors avait cédé sa place à sa nièce, transmettant le savoir d’une cuisine immuable. Le Guide Michelin « découvre » quand même la maison en 2000, indiquant « Authentique cuisine du pays ». Le décor, lui, est toujours resté dans son jus, entre fresques naïves de paysage marocain, grille en fer forgé et étonnant portrait du roi Mohamed V, le grand-père de l’actuel souverain. Les étrangers de Paris, les touristes du monde entier, tous ou presque, comme vous et nous, sommes venus pour un couscous qui restera dans nos mémoires. D’ailleurs, ce couscous, c’est celui de l’humilité : avec elle, c’est meilleur. La semoule donc, la meilleure du monde, arachnéenne à souhait, délicatement beurrée, n’avait pas de concurrence, aucune. Ensuite, le bouillon clair et dégraissé de légumes frais du jour venait la magnifier encore, puis des viandes itou – superbes boulettes à déguster très saignantes – et des issues sucrées du même acabit, mitonnées comme juste pour vous, telle la corne de gazelle à fondre. La pastilla au pigeon se commandait, le tagine poulet citron, lui, arrivait fumant. Les nouveaux vins du cru jouaient la carte de la qualité fruitée, tel le Beni M’Tir rouge 2005, l’anisette double ou triple ouvrait l’appétit et l’ambiance était régler sur l’autorité – souriante, mais sur le mode main de velours dans un gant de fer – de l’inénarrable Lyliane, un peu tête de mule au cœur tendre qui connaissait son petit monde sur le bout de la fourchette. Et personne n’oubliait d’être « slow », chacun étant servi selon l’ordre de son arrivée. Dernière représentation samedi 27 octobre : vous pouvez peut-être tenter votre chance. Adieu Lyliane, mille regrets, nous aurions tant aimé nous attabler encore… Carte : 45-60 €. - La Table de Fès - 5, rue Sainte-Beuve (6e). Tél. : 01 45 48 07 22. Jusqu’à 23 h. M° Vavin